Depuis février, je cherchais un mardi matin de disponible pour pouvoir aller à la rencontre d’un mareyeur, ce fut enfin chose faite le 19 juin, et ce fut une bonne journée !

Pourquoi un mareyeur ?

Après mon petit tour en mer en décembre, j’avais envie de continuer à suivre la filière. Mon intérêt pour la chose halieutique n’a pas faibli pas malgré le mal de mer !
Je voulais voir concrètement les critères qui font qu’un poisson est acheté à la criée et voir comment travaillent les professionnels du poisson pour le filetage notamment.

Pourquoi un mardi ?

Le mareyeur qui me recevait m’avait indiqué que c’est souvent un jour de la semaine plus calme que le lundi par exemple, donc plus adapté pour qu’il puisse me consacrer un peu de temps.

Mardi, 5h45, port du Guilvinec
criee_jetee_GV.jpg Il fait beau, la vue sur la mer depuis la jetée (réservée aux professionnels du port, dont je me suis revendiquée quelques heures) est magnifique juste avant que le soleil se lève tout à fait, l’air iodé fouette agréablement mes narines, je finis péniblement de me réveiller mais déjà je ne regrette pas d’être là !
François Daoulas de Steir Marée (ne faites pas comme moi, prononcez tout de suite comme il se doit stère maré et non stéïr !) a accepté de me guider et de m’expliquer son métier in-situ. On entre dans la criée. Il se rend d’abord au bureau où il récupère le boitier électronique au nom de l’entreprise. En appuyant sur le bouton, il pourra prendre part aux enchères sur les lots de poisson présentés. Si j’ai bien compté, il y a les pêches de 6 bateaux hauturiers (faisant de 10 à 15 jours de mer) à la vente du jour, qui commence à 6 heures. Un tirage au sort a déterminé l’ordre de vente et de présentation dans la criée.
On commence à parcourir le hall. Bateau par bateau, les poissons sont rangés par lot, par espèce, puis par taille. Un premier tri a permis d’écarter les poissons trop abîmés, blessés… qui ne rentrent pas dans la vente. Mais ce tri n’est pas suffisant, il y a des lots plus ou moins bien, c’est pourquoi, même si les criées sont informatisées et que l’on peut acheter à distance, les mareyeurs jugent nécessaires de venir au maximum sur place chaque jour. Ils soulèvent quelques poissons, regardent les couches supérieures des caisses du dessous. Ce qui compte :
- la couleur des ouïes (bien rouges)
- la fermeté de l’abdomen
- la présence des écailles
- la brillance de la peau et de l’œil
- …
Pas d’instrument de mesure pour tout ça, le savoir-faire pour barème. Au bout de quelques lots, je commence à pouvoir moi aussi différencier modestement les meilleurs lots des moins bons. Et c’est vraiment intéressant : tout au long de l’année, on n’a reçu que de la très bonne qualité en cuisine au CLPS, c’est donc bien de voir que ça peut être différent !
François Daoulas m’explique que les poissons sont relativement protégés du vieillissement, plus que la viande par exemple, et que s’ils sont bien traités, ils gardent leur niveau de fraîcheur assez longtemps. Ce ne sont ainsi pas nécessairement les lots pêchés en fin de marée qui sont les meilleurs, la qualité initiale et la qualité du travail des marins importent beaucoup. On passe aussi devant les caisses de la pêche côtière de la veille, pêche de ligneurs pour la plupart et là il n’y a visiblement rien à jeter : tout est beau, brillant, bien bombé comme il faut, exhibé dans des petites caisses à un seul étage de poissons.
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Il faut dire que tous les marins n’ont pas conscience de l’importance de leur travail sur la qualité du poisson quelques jours après le débarquement. Rares sont ceux qui viennent en criée entendre les avis des mareyeurs sur leur pêche, encore plus rares sans doute ceux qui suivent le devenir de leur poisson chez les grossistes et les clients finaux.
La vente commence, le crieur est installé sur un chariot électrique équipé d’un micro et d’un écran qui affiche le numéro du lot, le nom des acquéreurs, le prix atteint, le prix de retrait pour cette espèce. Le crieur se déplace devant les lots au fur et à mesure de la vente. Les enchères descendent tant qu’un acheteur ne s’est pas manifesté, elles remontent dès qu’il y en a plusieurs.
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criee_caisses.jpg criee_turbot.jpg Pendant ce temps-là je rêvasse sur la poésie des caisses marée multicolores et aux noms des ports de pêches. Un vrai problème pour la CCI, qui gère les ports, me dit François Daoulas, tant les vols de ces caisses sont nombreux, qui pour le côté design de la caisse, qui pour la praticité de ce type de conditionnement. Est-ce que ça pourrait être efficace de les consigner comme les caddies de supermarché ?
Et comme dans les supermarchés, la manutention des marchandises pose question : le poisson est manipulé de nombreuses fois depuis les cales du bateau, sur un tapis de tri au débarquement, dans les caisses marées, chez le mareyeur… manipulations qui nuisent à la qualité et à la conservation du poisson. En Galice, au moins pour la pêche côtière, des systèmes de caisses embarquées existent, et depuis de nombreuses années. A condition d’y mettre les moyens, on pourrait mieux faire donc.

8 heures (environ)
La vente se termine, Steir Marée a acquis aujourd’hui autour de 5 à 600 kg de poisson. Tout n’a pas été acheté au Guilvinec, François Daoulas a passé une partie du temps au téléphone avec son frère et associé, qui réalise lui les achats à distance dans les autres criées où ils sont inscrits.

Grand soleil sur le port, la lumière est très belle, ça vaut définitivement le coup de se lever tôt.
Nous partons pour Loctudy où se trouve l’atelier de marée, le camion chargé des caisses de poisson achetées au Guilvinec.

criee_steir_maree.jpgLà, les églefins (anons) et cabillauds vont être filetés. Je peux observer le travail pendant un certain temps, un geste fluide, qui a l’air simple mais nécessite un savoir-faire certain et de la pratique. L’important c’est de faire le moins de coups de couteau possible, pour ne pas déchirer la chair.
L’atelier a l’air assez simple et l’on penserait au premier abord que l’équipement est standard mais François Daoulas m’informe que c’est son père, le fondateur de l’entreprise, qui a mis en place l’organisation de l’atelier, la marche en avant raisonnée du poisson, dont fait partie la table de filetage autour de laquelle s’activent les 4 employées. Un savoir-faire spécifique de l’entreprise, tout comme la façon de ranger les filets dans les caisses…
Des petits secrets de fabrication qui assurent la productivité et l’efficacité de l’entreprise, et qu’il faut bien conserver pour faire face à la concurrence farouche que se livrent les mareyeurs entre eux. Métier particulier de négoce où tous les acteurs ont les mêmes fournisseurs et les mêmes clients. Alors, même si au quotidien les mareyeurs voisins s’entraident en s’achetant et se vendant des petites quantités de poisson ou de crustacés pour élargir leur offre, l’individualisme est vraiment dans la culture. Et cela peut paraître étonnant étant donné que et l’amont et l’aval sont très structurés. Les mareyeurs ne peuvent pas faire pression collectivement sur les pêcheurs, qui pêchent quand ils veulent, ce qu’ils veulent (et peuvent ! NDLA).
Chacun essaie de tirer son épingle du jeu en se différenciant, sur des espèces ou sur des circuits de distribution donnés. Steir Marée développe ainsi petit à petit un réseau de poissonneries en propre ou des clients commerçants qu’il fidélise. Leur but est de fournir de la qualité, sur un principe d’achat du marché, ils achètent les lots qui leur semblent bons, et quand le lot est épuisé, tant pis pour l’acheteur qui s’est décidé trop tard dans la matinée, il devra attendre le lendemain, si la pêche est bonne.
Tout en observant tous deux le geste des employées, François Daoulas attire mon attention sur la perte inévitable qu’il y a sur chaque poisson au moment du filetage, les filets ne représentent que 45% du poids du poisson. Une toute petite partie est valorisée à un prix très bas auprès de fabricants de soupe de poisson, tout le reste est jeté.
Et pourtant les techniques de récupération de chair sur les arêtes existent mais demanderaient des investissements lourds, car il faudrait surgeler immédiatement la chair extraite. Alors que l’on parle de raréfaction de la ressource, on se dit que les débouchés existeraient surement pour ces protéines de bonne qualité. Hélas, difficile pour un mareyeur artisan d’investir seul là dedans, ce n’est pas son métier, soyons clair, et une coopération de l’ensemble des mareyeurs sur un projet d’envergure n’est pas à l’ordre du jour.
Avant de partir, nous parlons également de l’avenir du métier, qui ne perdurera que s’il continue à y avoir des pêcheurs bien formés, aimant leur métier, capables de fournir de la qualité, mais aussi si le marché de l’emploi peut proposer des candidats formés pour reprendre les postes qui seront vacants dans les années à venir, le nombre de postes baisse certes mais la formation de poissonnier elle a carrément disparu sur le secteur. Faut-il là encore accuser l’absence de coordination entre mareyeurs ou est-ce ma déformation professionnelle Produit en Bretagne qui me fait percevoir la situation selon un angle erroné ?

Une rencontre avec un passionné, vraiment enrichissante !

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Et ici aussi, on tombe facilement sous le charme du paysage !