mon chef pendant 2 semaines !



Pourquoi et comment devient-on chef étoilé ?

photo_Pierre_Legrand.jpg Ce n’est pas un calcul, c’est l’enchaînement des choses. J’ai fait mon apprentissage dans le secteur gastronomique parce qu’on y apprend plus de choses, plus de rigueur. Et ensuite, mon parcours m’a conduit assez naturellement de chef de partie à chef, depuis 2009 maintenant.
Le restaurant du Coq Gabdy a un 1er macaron Michelin, héritée du précédent chef, Monsieur Tizon, qui a monté le restaurant gastronomique en 2004. Cette distinction correspond à un bon niveau d’ensemble qui doit se refléter tant dans l’assiette, le service et le décor, sans toutefois qu’il y ait de cahier des charges précis, alors qu’ici, on applique, par conviction, des règles quant à l’achat local des produits et le travail des produits de saison. Le niveau est contrôlé par la visite d’un « inspecteur » tous les 2 ans en moyenne. L’étoile est associée au chef mais il y a un temps de « tolérance » entre le départ d’un chef et la pleine prise de possession des cuisines par le suivant. Le comité chargé du classement est très vigilant également aux critiques reçues de la part des convives.

Quelle est la philosophie de votre cuisine ?

Après une expérience à l’étranger et avec l’arrivée de mes enfants aussi, j’ai pris de conscience de la chance que l’on a de vivre en France et de l’importance des problématiques du développement durable. Qu’est-ce qu’on va laisser à nos enfants ? Comment on les nourrit ? …
Je souhaite faire une cuisine bonne, saine, à base de produits locaux et de saison. La carte précise les fournisseurs principaux, de la région rennaise dès que c’est possible. Nous travaillons au maximum des produits bio. Et je fais une partie de mes achats directement aux producteurs qui vendent au Marché des Lices, à quelques centaines de mètres du restaurant. Nous avons la chance d’avoir ainsi à proximité le 2nd plus grand marché national (après Rungis), ce serait dommage de ne pas en profiter !
Un des plaisirs de mon métier est aussi de pouvoir transmettre ces convictions, que l’on peut manger sain, bon, local, de saison et pour des prix raisonnables. C’est pourquoi je consacre chaque semaine du temps à des cours de cuisine, des interventions dans les écoles primaires…
C’est pour toutes ces choses que je suis venu travailler au Coq Gadby, avec Véronique Brégeon, la propriétaire et gérante, qui a de vraies convictions en la matière.
De plus en plus, la clientèle est sensibilisée à la provenance des produits : du moment que l’on a la qualité, c’est mieux si le fournisseur est local. Même pour le foie gras, produit qui est largement étiqueté Sud-Ouest dans l’imaginaire collectif, je pense qu’on peut le mettre à la carte en remplacement du foie gras du sud ouest actuel sans risque d’appréhension de la part des clients.
La carte change donc au fil des saisons, pour suivre les approvisionnements. On travaille les produits quand ils sont disponibles, de la meilleure qualité / maturité et cela va avec pour beaucoup, au meilleur prix.
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Et comment construit-on la carte justement ?

Sur la base des produits de saison disponibles, je mets en place, en collaboration avec les 2 autres cuisiniers et le pâtissier de la maison, des recettes connues ou déjà réalisées ailleurs. Dans un restaurant gastronomique, l’utilisation de produits nobles est un peu imposée car cela correspond à une demande de la clientèle. J’avais mis du porc à la carte l’an dernier, et du très bon, mais il s’est trouvé plus difficile à vendre qu’un pigeon ou du daguet par exemple. Ceci dit, quand on a les moyens d’utiliser toutes les possibilités culinaires de la truffe (en salé ou en sucré), c’est un vrai plaisir de cuisinier.
On ne travaille que du frais, à l’exception des légumes secs comme le quinoa (produit dans le secteur d’Angers) ou les lentilles.
On arbitre aussi sur le coût des produits : on fera des choses plus sympas sur un menu avec du homard au mois de février qu’au mois de décembre où la demande est telle que les prix s’envolent. Ainsi, quand le homard est moins couteux à l’achat, on peut plus facilement assaisonner les légumes de la viande avec de la truffe, tout en restant dans les coûts matières qui assurent la viabilité du restaurant.
En fin d’hiver, l’offre de légumes est plus faible et l’on a en plus, ces derniers jours, souffert de gelées qui ont perturbé un peu les approvisionnements. Une série de légumes est alors réservée pour les poissons et fruits de mer et une autre pour les viandes. La carte ne change pas du tout au tout tous les 2 mois mais selon la saisonnalité, les offres glissent petit à petit aussi.

Vous êtes dans le monde de la cuisine depuis 20 ans maintenant, quels changements remarquables avez-vous noté depuis vos débuts ?

La durée du travail est bien plus réglementée et elle d’ailleurs officiellement passée de 45 à 39 heures. Dans le même registre, et du fait sans doute que les personnes qui arrivent aujourd’hui sur le marché du travail ont tous une formation d’école hôtelière, les fonctionnements sont plus polissés et moins « à la dure », qu’à l’époque où les cuisiniers faisaient leur apprentissage en débutant comme commis à l’âge de 13 ans, et sans autre choix que de respecter et subir la hiérarchie. On est plus aujourd’hui dans un monde de droit, plus courtois, réglementarisé.
En parallèle, sous l’impulsion notamment d’Alain Ducasse, l’image du chef a changé. Certains chefs sont aujourd’hui starifiés, médiatisés, ce qui valorise le métier et donne aussi plus de responsabilité tant vis-à-vis de son personnel que de ses clients.

Vous avez un vœu pour l’avenir de la profession ?

Que les problématiques de Développement Durable soient de plus en plus prise en compte : produits locaux, de saison, pour les aspects positifs sur l’environnement, la nutrition…

Et on est en bonne voie ?

On note que la clientèle y est de plus en plus sensible et la formation sur ces points dès les petites classes progresse aussi. Il faudra bien répondre aux attentes de la clientèle ! Mais saura-t-on le faire ? Pas sûr que les écoles hôtelières intègrent aujourd’hui ces notions dans leur enseignement.

Note de l’auteur : vérifier quel enseignement est fait en école hôtelière sur le Développement Durable, la nutrition, mais aussi le fonctionnement en réseau


Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous plait le plus dans votre métier ?

Le côté artistique de la création de chaque plat : la sélection des ingrédients, les formes, les couleurs, les textures, les saveurs, les processus pour arriver au résultat souhaité ; et enfin l’assemblage des différentes pièces de l’architecture pour arriver à une présentation harmonieuse.

Note de l’auteur : j’ai aussi ressenti cet émerveillement et cette impatience au moment du dressage final des assiettes, quand petit à petit le tableau prend forme et que tout s’illumine avec la touche finale d’un très fin toast de pain d’épeautre et d’une feuille de cresson des jardins lustrée d’huile d’olive.


Et qu’est-ce qui serait le plus pénible ?

On est soumis à chaque envoi de plat au jugement par le convive. Et comme on est dans un domaine artistique, c’est par essence subjectif. On essaie de faire au mieux pour le maximum de personnes mais on prend un petit risque à chaque fois. L’évaluation par d’autres fait progresser et oblige à être exigeant envers soi-même, mais on apprend à le vivre avec décontraction !

Note de l’auteur : en 2 semaines de stage, ce sont très largement les compliments qui reviennent en cuisine, et les assiettes vides à la plonge. 2 petits pains consommés en moyenne par personne, sans aucun doute, c’est pour saucer les assiettes !


Dernière question : que pensez-vous du titre de Maître Restaurateur ?

Aujourd’hui, cela me semble un peu flou et les exigences ne sont pas suffisamment précises. Ce n’est pas un gage de qualité, donc ce n’est pas assez valorisant pour qu’un cuisinier fasse la démarche et comme ce n’est pas connu par le grand public, il n’y a aucun intérêt commercial.
Malgré tout, c’est peut-être un bon début (note de l’auteur : dans le même esprit de ce qui a été fait pour l’utilisation du terme « boulanger » sur les vitrines et enseigne).
Les chefs sont des personnes très occupées dans leur restaurant et qui ont peu la culture de l’action collective. Ce qui fonctionne aujourd’hui, ce sont les démarches qui ont un but commercial, comme les étoiles ou les associations locales ou régionales.