Mon premier est la couleur de certaines peintures ou de bouts sur le bateau où nous avons embarqué
Mon deuxième est un aliment très (trop ?) consommé pendant les fêtes
Mon troisième est la couleur de la mer et du ciel quand il fait beau
Mon quatrième est ce que l’on dit de personnes malades, pas en forme, bouleversées par les conditions climatiques…

Mon tout est mon quatrième puissance 10 !

Hier j’ai embarqué sur un chalutier du Guilvinec, de mon plein gré et avec le plaisir de la découverte à venir, la poche pleine de coculine, parce qu’on ne sait jamais. Mon père, avec une certaine appréhension a accepté de m’accompagner, pour satisfaire une curiosité jamais assouvie encore mais très souvent titillée par la fréquentation de marins professionnels. Bref, on a embarqué à 6h45 hier matin. Mer d’huile dans le port, nuit noire mais très dégagée, ça s’annonçait bien. Quel plaisir de voir toutes ces étoiles, comme des privilégiés sur le pont supérieur du bateau ! Au bout d’une petite demi-heure, le patron nous a proposé de rentrer. C’est vrai qu’il faisait froid et il nous a surtout annoncé qu’il y en avait encore pour une heure et demie avant d’arriver sur zone de pêche. Il fait très très chaud dans la cabine de pilotage, trop chaud. Un peu plus au large, la mer a commencé à s’agiter un peu plus. J’ai cherché un endroit un peu moins mouvant pour me tenir tranquille avant d’être malade. Au pont médian, il y a une petite cuisine et surtout la zone de travail avec les frigos, les plateformes de réception des filets pleins… ça bouge moins encore en dessous m’a-t-on dit. Alors me voilà descendue dans le carré des bannettes, au niveau inférieur, sous le niveau de la mer. L’ennui c’est que ça sent très fort le gas-oil et l’huile dans cette pièce. Les moteurs sont juste de l’autre côté de la cloison, et on a aussi le bruit très fort des machines. Le bruit et l’odeur… J’ai pas trop aimé, de prime abord, cette odeur. J’ai réussi à me concentrer sur autre chose et à compter jusqu’à 460 avant que mon estomac n’appelle pour avoir de l’air. 2 étages de course dans des escaliers à pic, j’étais à nouveau sur le pont. Le bruit et l’odeur, d’autres, plus gastriques, plus tard, ça allait un peu mieux, mais dans le froid un peu piquant. Je suis restée accrochée très fort à la rembarde en acier rouillé pendant un bon moment, en pensant à mes gants et mon bonnet, restés en bas mais que je n’avais absolument pas le courage d’aller chercher. Côté météo, c’était toujours grand beau dans le ciel mais l’embêtant c’est la houle de fonds qui faisait des creux de 1 à 2 mètres (peut-être plus ?) en permanence. J’ai vu un lever de soleil magnifique, rouge rose, sur un ciel très dégagé, et les reflets dans la mer qui à l’horizon n’avait pas l’air démonté. La mer est belle quand il y a cette houle, c’est un peu comme des dunes dans le désert. Ça bouge juste un peu plus vite. Bon l’ennui c’est que le soleil bougeait beaucoup, un coup au-dessus, un coup en dessous du portique des chaluts. Temps de tolérance de l’image qui bouge : 0,15 seconde !
L’autre ennui, plus professionnel, de cette houle c’est que la pêche est souvent mauvaise : les langoustines restent dans leur terrier, m’a dit le patron.
Enfin, on est arrivé sur la zone du 1er trait de chalut (personne ne nous dira où on est n’est-ce pas !). J’ai vu les filets descendre, puis les gros câbles, les pièces rectangles qui permettent au filet de rester ouvert, les câbles longs un peu plus fins. A ce moment-là, j’ai gardé mes questions, pas la force de les poser ! Plus tard j’ai appris que les filets descendaient jusqu’à 80 – 125 mètres pour y racler le fond. Le bateau tire les filets derrière lui, sans arrêt avant de les remonter. Deux bonnes heures de trait !!!!
J’ai fini par redescendre dans les bannettes. Plus on est pâle, moins on est gêné par l’odeur sans doute ! J’ai dû un peu dormir et j’étais un peu plus colorée quand je suis remontée, j’avais repris des couleurs, m’ont dit les matelots. On a encore attendu un peu et les chaluts ont été remonté : langoustines, certaines de très belle taille, tacauds, 2 baudroies, une raie, des hemisoles et 2 roussettes, quelques crabes. Une toute petite pêche ! Tout ça pour ça !! J’ai quand même eu le temps de penser à la difficulté pour les marins de dépenser tant d’énergie pour si peu de résultat. Et un filet cassé en plus !
Pendant que les 2 matelots ramendaient un peu le filet et vidaient les poissons, le patron, resté en haut dans sa cabine de pilotage pendant toute la manœuvre, a emmené le bateau un peu plus loin pour faire le 2ème trait de chalut de la journée. Quoi !? On ne rentre pas encore ? On va encore subir cette houle pendant 2 fois 2 heures ? J’ai gardé ces virulentes questions pour moi et j’ai continué à errer de moments un peu mieux à un peu moins bien, allongée, debout, assise, en attente d’être malade, malade, soulagée… Je ne parle pas beaucoup de mon père. A-t-on bien profité de la journée ensemble ? Eh bien… quand on est malade, on a pas la force ni le temps de se préoccuper des autres.
Le 2nd trait de filet a été fait sur la route du retour, avec encore moins de résultat que pour le 1er… Quelle tristesse !
On a débarqué à 17h30, avec notre sac de pique-nique aussi rempli qu’en partant, toujours pas faim, un peu plus colorés quand même. 11 heures, sans boire, sans manger, debout souvent, dans le froid, l’estomac retourné. L’organisme a des réserves insoupçonnées pour nous permettre de reprendre le cours normal de la vie dès la descente du bateau.
Bon on va pas se mentir non plus : le repas d’hier soir a été frugal et je n’aurais pas voulu manger davantage. Assise à table au dîner, je sentais encore le roulis du bateau !
Bref, j’ai eu le mal de mer !

J’ai un peu moins profité de la journée que ce que j’aurais souhaité peut-être. Je reste avec mes mille questions que je n’ai pas eu la force de poser pendant la journée, mais l’envie de creuser le sujet, à terre cette fois. Je garde quand même en tête les belles images. Il faut que je me promettre de ne plus jamais accepté un embarquement sur un bateau, dans des conditions plus ou moins proches de celles-là. Certes le milieu m’attire mais je n’ai pas été génétiquement programmée pour supporter les conditions !
Merci Gaétane pour l'expérience que je n'aurais jamais pris l'initiative de décider !
Les 3 marins avec qui on a passé la journée (le patron et 2 matelots), n’ont eux pas été malades, comme quoi, on peut tenir le choc. Mais ça leur arrive toujours de temps en temps quand même, nous ont-ils dit. Liront-ils ce billet ? Je les remercie de leur accueil, de leur gentillesse, de leur empathie et leur disponibilité pour répondre à nos questions.
Cette sortie en mer, en tout cas, fait prendre conscience de la difficulté du métier et de l’aléatoire d’une activité de chasse-cueillette. A l’avenir, je serai sans doute ravie de payer cher mon poisson, en pensant à ce qu’il a coûté en énergie, en sueur, en peur, en ballottement, en déception, en fatigue !