usages et influence sur l'équipement des cuisines

J'ai maintenant mis les pieds dans plusieurs cuisines de maison et de restaurant, dans le Kerala et en Orissa alors il est temps que je me décide à écrire ce billet qui est en latence depuis quelques semaines déjà!
Et en fait c'est un peu différent dans les 2 états.

L'élément principal (et commun), c'est qu'il n'y a pas de four dans les cuisines, même si ça se développe (notamment dans le Kerala, qui est beaucoup plus riche, et où j'ai vu des magasins d'électroménager assez semblables aux nôtres).

La cuisine traditionnelle se fait sur le feu, et souvent on frit des choses que l'on aurait, nous, passées au four (les « biscuits » notamment).
Mais les Indiens sont assez fans des pâtisseries occidentales et consomment aussi, je crois, de plus en plus de pain ; il y a dans les villes de très nombreuses « bakeries ». Là encore, ça m'a encore plus frappé dans le Kerala.
Un four doit coûter assez cher, c'est une des raisons ; la gastronomie traditionnelle sait faire sans, mais on pourrait aussi ajouter que les maisons n'ont pas besoin de cette consommation électrique supplémentaire pour subir les baisses de tensions et coupures de courant quotidiennes (l'Inde n'est pas auto-suffisante en matière de production d'électricité).
On cuit donc tout sur le feu, au gaz ou au pétrole (hummmmm la bonne odeur !) en général. Et au bois ou au charbon, chez les plus modestes (fishermen village à Puri). Et au bois dans une cheminée équipée dans la cuisine dans certaines maisons du Kerala, où l'on préfère le riz cuit à cette flamme. On m'a dit qu'on pouvait placer des grilles au-dessus de ce fourneau à bois pour sécher des fruits, des plantes aromatiques, même si ça ne se fait plus tellement aujourd'hui (on achète le garcinia).
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Autre point impressionnant pour nous : pas ou peu de frigo

A Puri, j'ai même rencontré une Russe mariée à un Indien et qui y vit donc à l'année, elle a un frigo éteint dans sa maison ! Ce que j'ai vu à Puri, c'est que les frigos servent à stocker seulement quelques légumes et les boissons fraîches.
On fait les courses de frais tous les jours, et comme les magasins du coin de la rue sont ouverts jusqu'à 22h30, on peut aller chercher le lait du chai à 2 pas, juste au moment où on va le consommer, la glace quand on arrive au moment du dessert... On délègue le frigo au commerçant du coin de la rue. Pareil pour la viande, on achète sur pied le poulet et on le cuit alors qu'il est encore chaud.
On fait aussi peu de courses hebdomadaires, on achète en vrac, par petites quantités (même les lentilles et certains riz) ce dont on aura besoin. À Puri, ce sera toujours tout près, et si ce n'est pas juste en bas, ce sera un tout petit peu plus loin.
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C'est un peu différent dans le Kerala cependant, j'ai vu plus de frigos dans les maisons et des magasins de « cold storage meat ». Les maisons sont plus équipées, on stocke davantage, on vit moins dans la rue.

Pas de frigo, pas de four, ça veut dire qu'on mange frais, ce qui vient d'être cuisiné uniquement. On ne peut pas stocker pour J+3 !
Et quand on a préparé un plat pour le manger quelques heures plus tard (beaucoup de maisons ne disposent que de 2 becs de gaz et on n'a que 2 mains !), on va souvent manger un peu tiède ; parfois on réchauffe à la flamme mais ce n'est largement pas systématique (encore moins dans les restaurants que dans les maisons) ; et on voit quand même assez souvent des contenants isothermes pour le riz ou les chapatis par exemple (plastique double paroi).

Côté stockage aussi, il faut être plus vigilant que chez nous concernant les nuisibles. Ça semble difficile de lutter efficacement contre les souris notamment, et puis il y a les fourmis... Dans l'imaginaire de certains, c'est un peu compliqué de tuer un être vivant (qui est peut-être la réincarnation de …).
Donc on ferme tout hermétiquement, le riz dans des gros pots en plastiques qui ressemblent à des poubelles, les épices, les biscuits, les lentilles, dans des boites hautes à couvercle vissé. À Puri, j'ai cherché tant que j'ai pu de jolis contenants, sans succès. On n'utilise que des pots qu'on a achetés avec un ingrédient quelconque et qu'on recycle.

Autre différence significative entre le Kerala et l'Orissa, c'est la posture, quand on découpe les ingrédients.

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En Orissa, on travaille beaucoup accroupis ou assis sur le sol, avec des outils adaptés, le ponigui pour tous les légumes, pour écailler le poisson... et l'autre assez semblable pour détacher la chair de la noix de coco. Et il y a aussi pas mal de planches à découper en bois (qui ressemblent un peu à des coussins mortuaires) qu'on utilise avec un couteau standard. Japani m'avait dit qu'il préférait utilisé un couteau et une planche plutôt que le ponigui pour les découpes, car ça lui permet d'aller plus vite.
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Dans le Kerala, on travaille seulement debout ou assis sur une chaise (autant que j'ai pu l'observer). Mais pas de planche à découper : on utilise un genre de gant de doigt en caoutchouc pour protéger le majeur de la main gauche (si on est droitier) et on s'en sert d'appui pour découper les légumes ou la viande. J'ai essayé, je crois pas avoir été très efficace et j'étais pas très rassurée.
J'ai vu dans le Kerala des cuisines qui ressemblent davantage aux nôtres, avec point d'eau et point de cuisson. En Orissa, on va (encore une fois) vivre davantage dehors et faire certaines tâches sales (écailler le poisson, décortiquer les tiger prawns...) non pas au point d'eau de la cuisine mais à celui de la courette, où on se lave également.

Un élément essentiel de chaque cuisine par contre est le broyeur.

Dès que la famille peut se le permettre, on va trouver un mixeur électrique, qui sert tous les jours mais on garde toujours d'appoint plusieurs mortiers.
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On peut faire le même travail avec un mixeur électrique qu'avec un pilon m'a-t-on dit. Ce n'est pas comme on le considère chez nous entre le hachage au couteau et celui au mixeur.
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Le mortier « pot » sert pour broyer grossièrement, utilisé dans la plupart des cas, pour le gingembre, l'ail, le piment...

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Le mortier rouleau sert pour broyer de façon très fine, pour les marinades des poissons frits du Kerala entre autres.
Et il faut bien reconnaître qu'on gagne un temps certain à broyer les graines utilisées dans les gravys (moutarde, cacahuète, noix de cajou, graines de melon d'eau, poppy seeds...) au mixeur plutôt qu'au pilon. Je n'ai vu personne s'amuser avec un pilon manuel pour faire ça d'ailleurs.
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Dans les restaurants, on passe à la vitesse supérieure avec une meule en pierre qui fonctionne à l'électricité également.

Du fait que l'on ne cuit qu'à la flamme, la vaisselle de cuisson est assez simple : des genres de wok pour les sautés, des pots resserrés vers le haut pour la cuisson du riz principalement, des autocuiseurs pour gagner du temps sur les cuissons bouillies.
Bizarre pour nous, la vaisselle de cuisson est en général en alu (pas très bon pour la santé ) alors que la vaisselle de service est souvent en inox. On fait un meilleur riz dans des pots en argile m'a-t-on dit, mais je ne l'ai pas observé.
Au Kerala, on utilise en outre un genre de sauteuse au fond très peu arrondi pour la cuisson mijotée. Pour moins matraquer l'huile de coco peut-être ?

Et enfin, quand on passe à table :

Il me semble que toutes les maisons sont équipées de tables et chaises pour un repas partagé dans le Kerala, alors qu'en Orissa, seules les maisons les plus riches en ont.
On mange en général ensemble dans le Kerala, m'a-t-on dit. Influence du christianisme très implanté ici ?
À Puri, j'ai parfois mangé avec d'autres convives dans les maisons, mais la pratique est plutôt que chacun mange quand il arrive, et parfois on mange parterre au pied de la table de la salle à manger !