Hier, je suis enfin allée manger du poisson et des crevettes chez Apana, un habitant du village de pêcheurs qui jouxte Puri et avec qui j'ai déjà souvent discuté et appris beaucoup sur le fonctionnement de la pêche ici.
Alors ça n'a rien à voir avec ce qu'on connaît (et que je suis allée explorer, côté mer et côté terre), et en même temps c'est vraiment frappant de voir toutes les similitudes qu'il y a !

Le village de pêcheurs c'est environ 40 000 personnes (un village quoi!), dont de nombreux habitants sont originaires de l'Andra Pradesh, l'état voisin, au sud. Certains disent que c'est parce que les gens d'ici ne savaient pas pêcher en mer (seulement dans les lacs tout autour) et qu'il y avait donc une opportunité pour que des migrants s'y installent. On peut aussi avancer une raison religieuse due à la proximité du Jagannath Temple : pour les croyants, la religion s'accompagne d'une absence de consommation de produits carnés, alors aller imaginer de pouvoir travailler à une production carnée, il y a un pas infranchissable ! Le métier semble donc pouvoir être exécuté uniquement par des anciens intouchables (les castes ont été abolies mais les traditions ont la vie dure!). On perçoit une sorte de frontière symbolique entre le village de pêcheurs et ses petites maisons parfois tout à fait en dur mais un peu en terre et en palmes aussi, et la zone touristique adjacente où se pressent un nombre invraisemblable d'hôtels, dont certains sont vraiment très grands.
Les populations ne se mélangent pas trop et il y a en plus une forme de conflit larvé entre les 2 bords de CT Road (au nord les pêcheurs, au sud les hôtels). Seuls les touristes étrangers trouvent les barques, les mouvements des pêcheurs poétiques, photogéniques et intéressants ; du côté des patrons d'hôtels (et aussi peut-être de la clientèle indienne venue là pour le Temple), on voudrait une plage toute lisse débarrassée de toute trace d'activité industrieuse, et on focalise sur l'usage du village qui consiste à utiliser la bande de sable la plus proche de l'eau pour y faire ses besoins. Vers 16h, par exemple, il faut vraiment faire attention à l'endroit où on pose les pieds, et garder les yeux en l'air pour éviter de croiser le regard d'un monsieur accroupi occupé à faire un truc qu'on aurait préféré le voir faire dans des toilettes. Choquant ? Dégradant ? Oui, un peu, et en même temps, à défaut de système d'assainissement digne de ce nom dans le village, c'est pas plus idiot pour préserver l'atmosphère au niveau des habitations.
Côté balade, le village offre quelque chose de sympa et de vivant avec son labyrinthe de rues et de passages vraiment étroits (50 centimètres, c'est étroit, non?), son sol en sable, tous les petits magasins parsemés au long des rues.
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Bon, alors, ce tableau posé, la pêche !
La flotte regroupe dans les 500 bateaux, qui déchargent largement une tonne de poisson par jour, poisson qui est un peu consommé sur place et surtout beaucoup expédié dans tout le pays, grâce à une organisation bien rodée.

Les bateaux sont des barques plus ou moins grandes, à 90% à moteur, mais subsistent encore une petite partie de bateaux à voile. Chaque bateau embarque son patron et propriétaire, et 3 ou 4 pêcheurs pour des marées de 7 à 8 heures. La plupart partent tôt le matin et reviennent entre 13h et 15h (selon la marée), certains font des marées de nuit, s'ils sont équipés de lumière, et bénéficient alors d'une mer moins encombrée par les voisins.
Les plus petits bateaux peuvent être montés sur le rivage au retour de pêche, à la force des bras d'une dizaine de marins (et la pente est raide!), les plus gros reviennent au mouillage à une centaine de mètres de la côte après avoir déchargé. Un des marins ramène le bateau au mouillage, puis revient à la nage !
L'arrivée et le départ de chaque bateau est un moment impressionnant : le franchissement des vagues qui s'échouent sur la plage ne peut pas se faire au moteur, mais à la rame, façon stand-up paddle !
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A l'arrivée de chaque bateau, le poisson est déchargé dans des nattes en filet, et tout autour viennent se rassembler les acheteurs potentiels, et les femmes équipées de paniers, qui emporteront les achats. Le patron du bateau lance des enchères descendantes pour son lot de poisson. Une petite criée en plein air, où les acheteurs se manifestent d'un doigt, d'un signe. D'après ce qu'on m'a dit, il n'y a jamais de conflit entre les acheteurs, il n'y a toujours qu'un seul enquérant (est-ce possible?) et le poisson est toujours acheté. S'il y a du poisson, il y a donc, assurée, une paie pour les marins. Un peu sur le principe de chez nous, le patron reçoit 2 parts de la somme récoltée et chaque marin une part.
Sur une grosse journée, un seul bateau pourrait ramener jusqu'à 1 tonne (je n'y crois pas trop !) et un montant de vente assez courant est de 500 Rs pour un bateau, ce qui fait 100 Rs par jour pour un simple marin, ce qui mène le salaire autour des 3000 Rs par mois, dans la fourchette des salaires moyens ici (mais ça peut donc aller beaucoup au-delà).

Chaque bateau dispose de différents filets qu'il va exploiter pour différentes espèces selon la saison. En ce moment, c'est la fin des crevettes Black Tiger et la pleine saison des kingfish (traduction???). Et j'ai aussi vu des espadons de belle taille !
Les filets sont équipés en haut de flotteurs et en bas de poids, ils utilisés comme « barrière » dans lesquels les poissons viennent se ficher. Et les filets peuvent faire une centaine de mètres de long. Une des attractions de la plage est de regarder les pêcheurs ramender les filets, ce qui semble leur prendre plusieurs heures par jour.
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Je suis allée aussi visiter un atelier de marée d'où on expédie le poisson.
Il ne m'a pas semblé que les poissons étaient vidés avant expédition mais à part ça, les méthodes sont les mêmes que chez nous, le poisson est trié, calibré, mis sous glace et emballé dans des caisses en polystyrène, étiqueté et expédié à la gare par un moyen de transport local !
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